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[LIVRE] « Au nom d’un père … », de Ndèye Fatou Kane: « Ce livre est une ode à la vie et à la mort »

Rédigé par leral.net le Jeudi 27 Avril 2023 à 07:56 | | 0 commentaire(s)|

« Au nom d’un père… ». Du père de l’écrivaine Ndèye Fatou Kane. Cette dernière a publié son sixième livre, chez L’Harmatan-Sénégal, en octobre 2022, pour honorer la mémoire d’un papa qui fut guide, protecteur et modèle d’Homme. Le bouquin de 102 pages peut autant être considéré comme un bréviaire qu’une tribune de féminisme à […]

« Au nom d’un père… ». Du père de l’écrivaine Ndèye Fatou Kane. Cette dernière a publié son sixième livre, chez L’Harmatan-Sénégal, en octobre 2022, pour honorer la mémoire d’un papa qui fut guide, protecteur et modèle d’Homme. Le bouquin de 102 pages peut autant être considéré comme un bréviaire qu’une tribune de féminisme à diverses vues. Il sera présenté au public sénégalais le 29 avril, samedi prochain, au Musée des civilisations noires (Mcn).

« MTK, à jamais dans mon cœur. Il est de ces périodes que le Seigneur nous fait vivre pour nous endurcir. Et ces mois passés et à venir en font résolument partie. Car perdre mon frère et mon père à 6 mois d’intervalle, je ne l’aurai jamais pensé ». Cette complainte de l’écrivaine Ndèye Fatou Kane, publiée sur sa page Facebook au lendemain du décès de son père, Mamadou Tidiane Kane, n’avait pas révélé toute sa charge dramatique, malgré le chagrin notable. Un deuil des plus difficiles allait effectivement suivre, engendrant un lourd épisode dépressif. Le cœur et l’esprit de Ndèye Fatou vont voler en rase-mottes, méprisant jusqu’aux retrouvailles avec les nuages. Une période affligeante au cours de laquelle l’inspiration et l’écriture du livre apparaitront en lumières salvatrices. « Au nom d’un père – Hommage à Mamadou Tidiane Kane (16 février 1945 – 5 octobre 2021) » est la thérapie de son auteure.
« Quand ma psychothérapeute m’a demandé ce que je pouvais faire pour m’extraire de mon état apathique, je lui ai répondu « Écrire ». Je suis donc allée me poser dans mon bureau et j’ai écrit le livre en deux semaines. Ce livre est ma manière de sortir la tête sous l’eau, me réveiller et me dire que la vie continue. La littérature, la lecture, le livre sont ma vie. Je disais à mon père qu’il m’a rendu le meilleur des services en me mettant un livre entre les mains. C’est un peu une continuité, en fait. « Il m’a d’abord initiée à la lecture, ensuite indirectement à l’écriture. C’est en fin de compte normal que j’écrive sur lui », nous explique Ndèye Fatou Kane. Ce prolongement de l’héritage est aussi bien une déclaration personnelle qu’une lettre impersonnelle. En célébrant un père à qui elle dit devoir sa personnalité et son identité, elle présente également un homme avec de remarquables qualités humaines et humanistes, qui de plus a marqué son époque et ses proches. Les deux objectifs font sens.

« Rien de mieux qu’un livre pour fixer sa mémoire dans le temps afin qu’elle lui survive et me survive moi-même » apprécie « Nfk », qui avoue, sans s’en excuser, sa « subjectivité de fille » chérie et cajolée. Mamadou Tidiane Kane – Mtk était un technicien supérieur des transports qui a fait les beaux jours du Port autonome de Dakar. Ses expertises étaient requises au-delà de nos frontières. Son brio et sa considérable conscience socioprofessionnelle l’ont amené à se distinguer dans le giron portuaire au-delà de son service bureaucratique. Mtk est l’ancien président de l’Union culturelle et sportive des travailleurs du Port (Ucst Port) qui a donné à la section football toute son aura. Ancien vice-président de la Fédération sénégalaise de football (Fsf), « débatteur hors pair, acteur brillant et parfois bouillant », selon le journaliste Babacar Khalifa Ndiaye, Mtk est l’un des animateurs principaux des états généraux du football après la débâcle à la Can 1986.

Ouverture à l’universel 

Homme racé, doté d’une singulière urbanité, mâtiné aux préceptes religieux et aux vertus traditionnelles, dévoreur de livres, bien élancé et pas du tout escogriffe, Mtk s’était forgé une ouverture à l’universel qui lui avait imposé une grande tolérance et une séduisante foi en l’humain. « La Rigueur », son sobriquet depuis les années estudiantines, avait en lui tout ce qui fait le propre et le paradoxe du communiste (il avait d’ailleurs été militant du Parti africain de l’indépendance – Pai, et syndicaliste).

Une personnalité inspirante.

L’intersectionnalité est une notion féministe en sociologie qui étudie comment la société traite des groupes de personnes qui subissent quelques formes d’oppression ou la hiérarchisation des pouvoirs. C’est l’un des dadas de Ndèye Fatou Kane, qui est chercheuse en sociologie du genre. Cette intersectionnalité est pour elle « un carré où plusieurs « moi » se rencontrent ». C’est encore un legs de Mtk qui, depuis l’enfance, n’a cessé de la forger à son image de dégourdi, d’intellectuel et de curieux insatiable. « Quel que soit le domaine où je m’active, l’ombre de mon père plane toujours. Même dans mon féminisme. Déjà, c’est en m’ayant éduquée d’une façon atypique en me faisant comprendre qu’être une fille ne saurait être une excuse ou une entrave en rien, que j’avais un cerveau comme mes frères. C’est toujours une continuité », observe l’auteure de « Vous avez dit féministe ? », qui a choisi conséquemment de choisir son père plutôt que le monde, et d’être autant la fille de son père que de son époque.

Identité féministe 

À bien y voir, « Au nom d’un père … » donne un aperçu révélateur de l’identité féministe de Ndèye Fatou Kane. Avec un papa qui l’a façonnée à la dure, l’a soustraite de l’éducation « domestiquante », s’étant gardé d’être exubérant devant ses succès, Nfk ne pouvait qu’aboutir à cette femme obstinée, sûre d’elle, hardie et conquérante. Plus consciente, elle a vu en ce père un modèle de masculinité déconstruite qui n’hésitait aucunement à exprimer sa part féminine et sensible. Dans son innocence et dans la construction de son « moi » d’adolescente, l’image a fait tilt chez Ndèye Fatou Kane. « Autant la mère fait le mâle, autant le papa fait la fille », admet-elle, citant le texte « La Mère, à l’origine du mâle ». La posture féministe de Ndèye Fatou Kane se manifeste plus nettement dans le style et dans le ton.

Les puristes orthodoxes s’étrangleraient devant la liberté de Ndèye Fatou Kane à user des épicènes et de l’écriture inclusive. Ces néologismes sont plus que des mots pour Nfk. Ce sont des instruments de sa posture (d’écrivaine) féministe. Cette grammaire nouvelle ambitionne de cesser l’écriture exclusive, d’admettre les non-binaires ainsi que d’enlever la dominance du masculin sur le féminin. Les féministes parlent de masculinisation systématique de la neutralité en français. Sur l’autre partie où Ndèye Fatou Kane se raconte, c’est à travers un subtil ou bref « essai » sur la dépression, la psychothérapie. C’est curieux, tout ce que l’énergie du désespoir peut provoquer comme mue(s). « Ma vie a réellement connu une cessation de mouvement depuis le 5 octobre 2021, mais elle a paradoxalement commencé depuis cette fatidique », admet l’auteure dans le livre. Elle reviendra certainement en large sur ce dédoublement lors de la présentation sénégalaise du livre, qui aura lieu samedi prochain, au Musée des civilisations noires, à 15 heures.

Mamadou Oumar KAMARA



Source : https://lesoleil.sn/livre-au-nom-dun-pere-de-ndeye...